Les mains dans l'argile : toi, nous et la leucémie #18

De retour à la maison, j’avais un message de l’école pour finaliser l’inscription initiée quelques mois plus tôt. Tu as alors presque trois ans.
Le matin dit, je me suis plongée dans le flot des enfants et des parents. Je me suis laissée entraînée, en refoulant mes larmes, vers le bureau de la directrice. Et là, assise très droite sur le bord de ma chaise, utilisant le moins de mot possible, j’ai expliqué que tu ne serais sans doute pas présent à la rentrée. Sans doute pas non plus les jours suivants. Qu’en fait, je ne savais même pas si tu pourrais te rendre à l’école à un moment dans l’année.
Mais que nous voulions t’inscrire, parce que ne pas le faire, c’était renoncer, c’était laisser la maladie gagner. J’ai serré les poings. Je ne sais plus ce que la directrice a dit. Et je me suis retrouvée dehors.

Trois
Trois mois depuis l'annonce de la maladie de Stanislas...
L'épuisement et le découragement nous gagnent. Nous ne souvenons plus de la vie d'avant et la vie d'après est encore trop loin pour que nous puissions nous y projeter.
Les jours s'écoulent, identiques et monotones, et la tension s'accumule.

Nous sommes en juin 2010. Tu  es entre la vie et la mort, bien vivant la plupart du temps, lucide, drôle et tendre, et pourtant bien plus proche de la mort que de la vie, en vérité.
Tu n’as plus de globules blancs, plus de système immunitaire, plus de plaquettes et, ma foi, plus beaucoup de globules rouges non plus.
Tu vas de chimio en transfusion, l’heure qui passe est la seule qui compte, résumé de la vie à elle-seule. L'heure qui passe acquiert une importance démesurée parce qu’elle est peut-être a dernière.
Nous ne nous souvenons plus de la vie d’avant. Il n’y a pas de vie d’après. Nous sommes dans l’obscurité, dans l’immédiat le plus immédiat. Tout est possible tout le temps : à un moment, tu ris et tu cours, au moment suivant, tu tombes, tu saignes et nous repartons d’urgence vers l’hôpital pour une transfusion. A un instant, tu entres dans une colère totale, la faute aux doses massives de corticoïdes ; à l’instant suivant, tu sombres dans une léthargie profonde, livide et totalement immobile.
Il n’y a plus de lundi et plus de vendredi, seulement des jours à l’hôpital et des jours à la maison.
Il n’y a plus de saison, dans notre espace tempéré, clos et aseptisé. Depuis le salon de l’hôpital, nous regardons les arbres reverdir, le personnel soignant déjeuner dehors, nous regardons les gens longer les immeubles pour trouver un peu d’ombre. On observe les déménagements et les départs en vacances.
Et tout ceci ne nous concerne pas.
Tu rêves de pique-nique ? Nous nous installons dans le couloir, devant la cantine, et mangeons notre repas « protégé » assis par terre, chapeau sur la tête, en imaginant ce que ce serait de déjeuner sur l’herbe.


Commentaires

  1. Parfois, quand je te lis, j'ai juste envie de t'inviter à boire un thé pour que tu puisses parler, te réchauffer et te sentir bien.
    Que dire, sinon?
    J'imagine que vous avez rattrapé ces heures sans heure en pique-niquant sur la baie de Somme...

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    1. Les premières fois que nos sommes allés en baie de Somme, après cette épreuve, ont été d'immenses émerveillements. Et depuis, on essaie de cultiver ce bonheur simple et quotidien.

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  2. Que dire... vivre dans l'inconnu, voir son enfant souffrir ainsi, côtoyer la mort... c'est si fort ce que tu écris.
    je me demandais comment tu vivais ta grossesse, est-ce que tu avais mis cet état entre parenthèses ? arrivais-tu à te projeter dans cette situation heureuse ?
    @bientôt et longue vie aux petits bonheurs

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